Le monde (capitaliste) des sagas mp3

Si l'on s'accorde à dire que la sagasphère est née en septembre 2000 (sortie du premier épisode de la Matruc de Mitch), nous arrivons dans la douzième année de vie de ce média et il est bon de faire le point sur ce qui a fait une partie de son succès : la gratuité. Dans leur immense majorité, les sagas sont gratuites avec quelques exceptions notables, notamment les productions de David Uystpruyst (Souvenez-vous de la Libellule d'Acier). Cette gratuité semble être devenue un élément sacré dans la sagasphère, au point de faire partie dans l'esprit de certains de la définition même de saga mp3, et la moindre tentative de monétisation attire au mieux des regards de travers et au pire des jets de pierre. 

Est ce vraiment un tabou ? 
Certaines personnes semblent vouloir affirmer que la gratuité est un élément indissociable de la sagasphère, pourtant, dans la définition de « Saga mp3 » établi en 2009 sur le Netophonix, il est clairement fait mention que la diffusion « peut se faire en échange d'une rétribution financière » pour ne pas exclure certains cas particuliers. 

Mais pourquoi l'atteinte à cette gratuité pourrait faire débat ? Pour trois raisons. D'abord l'habitude des auditeurs qui reste très forte. Dur pour une génération habituée au « tout gratuit » de revenir en arrière. Ensuite, la sagasphère véhicule un esprit de liberté sans contrainte (en terme de thème, de durée, de format,de diffusion, etc.). Et finalement il ne faut pas oublier que la sagasphère est à la frontière de la légalité dans la majorité des cas (utilisation de musiques non-libres de droit et de logiciels piratés) et que la monétisation de ce genre de production serait vraiment mal venue.

Être prêt à payer pour écouter ?
Si beaucoup ne sont pas prêts à sauter le pas, il faut savoir qu'il faut quand même réunir certaines conditions pour permettre une mise en ligne payante et la principale reste la qualité. Payer pour écouter une saga champignon : NON. Payer pour écouter Ihokane : OUI. L'autre condition étant bien entendu que bruitages et musiques soient originaux pour éviter de menus problèmes de droit d'auteur. Même avec ça, Jay avait proposé, pour faire une bonne blague, de rendre payant les épisodes de « Velvorn : The Bladed Druid » et avait suscité un mini-tollé sur le Netophonix (NDJohnny : Impossible de retrouver la date et la référence). En son temps, PoC a dû aussi affronter des hordes de fans trouvant que Naheulbeuk partait dans le commercial.

Le système de don 
Plusieurs créateurs ont mis en place un système de don avec des succès plus ou moins important. Prenons l'exemple de Flo dont les dons PayPal ont été disons assez faible : un seul comme il l'indique dans une de ses vidéos. Durendal a trouvé une autre voie avec sa désormais célèbre « wishlist ». Il indique les objets qui l'intéressent et des fans lui offrent. Il aurait aussi obtenu 50 cadeaux en 7-8 mois qu'il présente régulièrement dans ses vidéos. Alors ce système peut plus ou moins marcher mais il a le mérite de ne pas monétiser les épisodes. En clair, quelque soit le succès de ces opérations, cela n'influence pas la fréquence de sortie des mp3 et se pratique sur la base du volontariat. Cela reste un bon moyen de soutenir un créateur. 

Cas à part, très récemment, j'ai cependant vu une exception à cette dernière règle et je trouve ça à la limite du scandaleux. En février, Richoult avait mis en place sur le site de Javras un système de don (pour l'instant rien de scandaleux) mais ces dons donnaient le droit d’accéder pendant un mois à du contenu en plus sur le site et SURTOUT à des avants-premières des épisodes. Traduction : il fallait payer pour pouvoir écouter des épisodes contenant de la musique non-libre de droit. Je me demande très franchement si la ligne jaune n'est pas carrément franchie. Cette pratique est absolument unique et n'a pas survécu une semaine suite à diverses remarques venant d'acteurs n'appréciant pas cette monétisation dont ils n'avaient pas été prévenus. 

Edition du 14/05/2012 : Richoult trouvant que ce dernier paragraphe laisse une mauvaise image de lui (malgré la précision sur le caractère hautement éphémère de cette affaire), il a préféré se justifier via un post sur le Netophonix auquel j'ai bien entendu répondu juste après.

Les produits dérivés
Ici on arrive vraiment dans les sagas ayant un bon succès ou une bonne base de fans fous : les sagas à forte notoriété ont pu changer de support. C'est PoC qui a ouvert la voix en 2003 en proposant le CD « Machin de Taverne » avec le Naheulband récemment créé. Au programme, reprise du contexte de sa saga avec des chansons inédites. Le troisième CD, nommé « T'as pas le Niveau » vient d'ailleurs de sortir. En juin 2011 au Geek Faëries, PoC m'indiquait lors de son interview que les CD c'était « pour le fun » et n'étaient pas vraiment un vecteur de revenu tout comme le jeu de plateau ou les figurines qui n'étaient finalement que des « revenus annexes »... et il ne donne pas son accord pour faire n'importe quoi avec ses personnages. 

On a vu aussi apparaître lors des conventions comme les Joutes du Téméraire des créateurs proposant des CD de leurs sagas sans modifications majeures et « vendus » au prix voulu par l'acheteur. C'est ce qu'a choisi de faire notamment Luciole en 2011 qui proposait les 9 premiers épisodes de Finesse Fantastique sur ce support. L'amour de l'objet est un élément essentiel de ce genre d'achat mais c'est aussi une occasion de soutenir un créateur que l'on apprécie. Les revenus dégagés restent cependant limités, voire nuls. On finira par évoquer des petites choses comme les T-shirts proposés parfois via des sites spécialisés ou des goodies plus ésotériques comme les mugs PSMP3, souvent vendu à prix coûtant et ne rapportant rien aux créateurs. 

Bref si vous voulez gagner (un peu) du pognon dans la sagasphère, il va plutôt falloir se tourner vers un média grand public et encore c'est pas gagné pour tout le monde. Au programme BD et romans tirés de sagas mp3 qui sont apparus au fil du temps. Tout commence en 2004 quand Marion Poinsot contacte Pen of Chaos avec des esquisses de personnages, ce qui donnera naissance au premier tome de la BD et les albums suivants se classeront régulièrement dans les tops des ventes. Devant ce succès d'édition, PoC confirme que sans la librairie, il serait impossible de vivre de Naheulbeuk. 

Pour compléter cela, devant le temps nécessaire pour sortir une saison complète, PoC commence à coucher les aventures de ses aventuriers en roman pour conter la saison 3 en 2008. Les fans sont au rendez-vous et remettrons le couvert pour les saisons suivantes. Le cas de PoC reste exceptionnel, nous allons le voir, et il continue de tracer sa route avec une adaptation en roman des saisons 1 et 2, la BD qui continue et un projet audiovisuel en préparation pour 2013. 

Les cas des Knarf pour le Survivaure et JBX pour Reflets d'Acide sont un peu différents car ils rapportent moins à leurs auteurs, et en tout cas pas de quoi vivre. La sortie du tome 3 de Reflets d'Acide, dessiné par Le Fab, a été l'occasion de poser quelques questions à JBX à ce sujet. 
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Bonjour JBX, est-ce que tu sais combien de volumes ont été vendu à ce jour (mars 2012) ? 

JBX : Pour le 1er tome, nous n'avons que les chiffres des BD mises en place dans les rayons mais on a, semble t-il, dépassé les 18.000 albums vendus puisque l'éditeur s'apprête à rééditer le 1er tome. Le second opus doit être pour l'instant autour des 12.000 albums vendus. 

Combien tu touches sur chaque vente ? Est ce que cela représente un complément confortable à tes revenus ? 

JBX : Je ne pourrais pas vivre de mes "droits d'auteur" (ça n'a jamais été le but et je suis très sincère en disant ça) lesquels sont calculés en fonction du volume des ventes : de 1 à 10.000 exemplaires, 2,66 % pour le scénariste puis 3,66 % de 10.001 à 15.000 exemplaires, etc. Cela peut aller jusqu'à 6% je crois. Le dessinateur a un pourcentage plus fort au départ, puis ça s'équilibre au-delà des 50.000 exemplaires. Ces pourcentages s'appliquent sur chaque tome et non sur le cumul de tous les tomes vendus d'une même série (je précise, je précise).

Il faut bien se rendre compte qu'il sort plus de 5.000 BD différentes chaque année en France (sans compter les mangas) : en vivre est donc un sacré challenge. D'ailleurs, Le Fab a parfois envie d'arrêter tellement c'est difficile. Il bosse jusqu'à 10 heures par jour, même le week-end. Le coloriste (NDJohnny : Fred Vigneau, qui au passage fait un travail absolument remarquable sur la série) fait un boulot de fou également et il n'est payé qu'une seule fois, 10 à 20 euros par planche. 

Concernant le complément de revenu procuré par la BD, eh bien comme mon boulot officiel ne me permet pas de me payer depuis plusieurs mois (mais je ne m'étendrais pas là-dessus), mes droits d'auteur ont pu représenter 3 salaires. Je te laisse imaginer le nombre d'ouvrages qu'il faudrait vendre avant de pouvoir en vivre réellement. 

Trouves-tu que RdA est devenu commercial ? 

JBX : Non ! Une preuve ? Je paye depuis quelques années un "serveur dédié" sans n'avoir jamais intégré de bandeaux publicitaires vers des sites commerciaux. Synopsite.com compte 2.500 visiteurs uniques tous les jours, pourtant, je communique peu. Ensuite, réaliser une saga mp3 est avant tout pour moi un loisir gratuit et bon enfant même si c'est parfois laborieux, un hobby passionnant dont le résultat est partagé sur le net sans autres arrières-pensées que d'amuser, d'intriguer, d’interpeller des auditeurs... lesquels me payent par des messages de sympathies. Je me considère d'ailleurs comme un "milliardaire" tant les missives reçues sont encourageantes et positives. 

Concernant la BD, elle est nécessairement dans une sphère "commerciale" puisqu'elle fait travailler/vivre quelques personnes, lesquelles ne sont pas et ne seront jamais des "golden boys" cotés en bourse et le succès d'estime rencontré jusqu'à présent ne saurait concurrencer les "Titeuf", "Trolls de Troy" et autres pointures vendues à des centaines de milliers d'exemplaires. Par rapport à l'aventure audio gratuite, elle ne fait que proposer sur un support palpable une adaptation de la saga mp3 : le support visuel ainsi que le passage de l'oral à l'écrit nécessitent quelques aménagements mais la BD ne saurait se substituer à l'audio. 

As tu eu des retours un peu brusque de tes auditeurs suite à la sortie des BD ? 

JBX : Aucun retour agressif. Parfois des questions sur les aménagements du texte mais sinon, des encouragements encore et encore. Après, on peut ne pas adhérer aux propositions visuelles du Fab ou au découpage que je réalise avec beaucoup de soin, mais en l'espèce on ne fait que proposer et c'est à l'auditeur/lecteur d'en disposer. 

C'est étonnant qu'aucun auditeur ne soit venu vers toi en maugréant contre la société capitaliste, PoC en avait eu des belles je crois. 

JBX : Il y avait eu quelques réticences avant la sortie de la BD mais j'avais quand même expliqué en amont mon choix ; je pense que ce sont surtout les produits dérivés qui sont visés en général par les critiques, d'ailleurs, je n'ai jamais encouragé Fab à faire des t-shirts ou des trucs dérivés, au contraire. Après, comme ça reste bêtement "tabou", il est clair qu'on peut imaginer tout et n'importe quoi. La réalité est bien plus sage. PoC arrive à vivre de son nouveau métier mais il y a un sacré boulot derrière et il propose toujours des bonus gratuits. Knarf ne peut pas se séparer de son boulot et il va travailler désormais à Londres. 

Certains adulent des auteurs qui n'ont jamais proposé autre chose que des textes à acheter, autrement dit des bouquins (comme Pratchett par exemple) : vont-ils leur reprocher de ne pas leur proposer des textes gratuits ? Je trouve qu'il y a là deux poids deux mesures. J'ai d'ailleurs maintes fois défendu PoC sur mon site contre ces excès d'enfants gâtés.

 Merci d'avoir répondu à ces quelques questions. 

Conclusion 
Finalement que retenir de cette histoire ? Déjà qu'il n'y a à mon sens pas de scandale dans un système de don, ni dans un système de rétribution via des « produits dérivés », censé donner un peu de plaisir à quelques fans. L'argent est-il vraiment tabou dans ce monde ? Je fais parti de ceux qui pensent que si l'auteur arrive à valoriser financièrement sa création (dans la limite de la légalité bien sûr) c'est la meilleure des choses qui soit. Nous avons en plus de la chance que les sagas préférées des internautes soient tenues par des gens qui, quoiqu'on en disent, pensent encore à leur public « gratuit ». La légende urbaine qui veut que PoC ne fasse plus de gratuit est réduite en miette par une simple visite sur son site, l'épisode 15 de RdA arrive bientôt (enfin un jour quoi) et Knarf ne cache pas sa volonté de finir l'audio quand il aura du temps.

Comments (5)

Aaaah ! Ça fait du bien de pouvoir te relire !
Cet article d'un genre assez nouveau par rapport à ta production habituelle a été un véritable régal, mêlant parfaitement reportage, interview et développement personnel, le tout sur un sujet qui non seulement a le mérite d'être intéressant mais en plus sur lequel il est constructif de discuter vu les nombreuses polémiques qu'il a pu engendrer. Vraiment, un grand bravo ! J'espère qu'on aura à nouveau l'occasion de lire de tel dossier.

Et sinon, petite anecdote : les bénéfices que j'ai engrangés grâce à la vente de mes CDs aux Joutes du Téméraire ont entièrement servi à payer un McDo à mes acteurs présent sur place. ^^

Tu peux aussi préciser, pour renforcer la conclusion, que Knarf "sacrifie" même les BD pour le moment afin de concentrer son temps libre sur les productions gratuites. :)

Sympa sinon l'article. Même si perso, je ne paierai jamais pour du contenu "exclusif" mp3. Acheter un cd de fichiers que j'ai déjà pour soutenir le créateur, pourquoi pas (Je VEUX Commng Soon un jour). Acheter du "contenu exclusif" ? Jamais, par principe.

(Les CD du Naheulband sont un cas à part, car c'est un groupe de musique. Pas un cd de "créateur de saga mp3".)

Je vais rejoindre Luciole, ça fait bigrement plaisir de pouvoir te relire. Ça commençait à réellement me manquer.

Un bon article qui se trouve être à part de tes précédentes rédactions, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Le sujet est bien traité de façon complète et constructive. Du bon boulot de pigeon/journaliste que voilà. On en redemande.

Pour en revenir au sujet, il est vrai que la notion de "gratuit" a toujours été de paire avec la sagasphère. Cependant, je pense qu'à moins d'une montée exponentielle de la qualité des réalisations, la saga mp3 restera accessible sans question de finance dans l'état actuel des choses.
Le meilleur arrangement pour le moment reste celui de David Uystpruyst pour Ihokane : vente d'un CD, rassemblant l’œuvre (diffusée gratuitement) et d'éventuels bonus, à un prix abordable. L'achat doit rester volontaire, dans le cadre du plaisir et du support.

En revanche, j'ignorais que Richoult avait mis en place un tel système. C'est clairement ridicule dans la mesure où les droits d'auteur ne sont pas respectés et que la qualité n'est tout bonnement pas au rendez-vous.

En tout cas, tant que je peux lire gratuitement le Nid de Johnny sans bouger de mon fauteuil, moi, ça me va.

Souvenons nous de la banqueroute de Chronique des Ombres, malgré un auteur de renom et un casting de choix. Les chiffres des ventes finaux n'ont pas été publiés à ma connaissance, mais ce fut de toute évidence un flop. Même le DVD promis (et payé d'avance) n'a jamais été réalisé faute de moyens. Sans parler de la suite qui était promise.

Dans certains pays, toujours attachés à la diffusion via la radio de fictions audio, il existe toujours un petit marché pour les créations sur CD ou autre. Mais il semble que la francophonie aie fait une croix dessus et si on trouve encore, rarement, des fictions audio sur les ondes, elles n'ont certainement pas le marché nécessaire pour oser les diffuser sur des supports physiques.

Pour ma part, il m'est inconcevable, sauf exception comme les chroniques des ombres, mais c'était un cas particulier, (et puis j'étais sensé recevoir le DVD,) de payer pour un enregistrement dématérialisé. Par contre, dans le cas d'un objet, que ce soit un CD, un DVD ou un T-shirt, c'est différent. Il y a le côté collectionneur, fan-boy, tribu qui s'ajoute. Mais il n'y a pas de véritable marché, ce sont là des productions ultra-limitées et inconnues du grand-public. De ce point de vue, proposer à ses fans et amis des goodies et de faire quelque argent de poche qui, sauf exception, ne pourra guère servir qu'à rembourser quelques frais de voyage et de bouche lors de grosses IRL's, ou dans les cas extrèmes participer à l'achat d'un nouveau microphone.

Reste un créneau potentiel qui ne demande pas aux auditeurs de mettre la main à la poche et qui peut rétribuer les auteurs : les radios. Un jour ou l'autre, on pourrait envisager que les radios (les professionnelles, celles qui touchent de l'argent via la pub ou les subsides d'état) redécouvrent les fictions audios et décident de les diffuser à nouveau sur leur ondes.
Bien évidemment ça implique plusieurs contraintes : avant toute chose, il faut que les patrons de radio en entendent parler et aient envie de les diffuser ; il faut aussi une production de qualité suffisament élevée pour une diffusion pro ; que la matière soit suffisament importante ou régulière pour alimenter les besoins et que la réalisation soit carrée vis à vis des droits d'auteurs.
Beaucoup d'inconnues donc mais c'est une piste non-négligeable pour un avenir possible.
(Avec ses contraintes aussi : dans la sagasphère, c'est généralement gratuit, mais c'est entièrement libre. Pas de producteur, pas de directeur artistique, pas de ligne éditoriale, pas de délais...)

Vive PoC !
Et à poil les elfes :D
Commentaire nul, je n'en disconvient pas, alors je m'épanche: tant mieux si ceux qui nous font rêver peuvent vivre de leur travail ou des ses dérivés. Personne n'oblige qui que ce soit à acheter, alors où est le problème !

Et merci pour le billet ;)

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